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20 mai 2012 7 20 /05 /mai /2012 16:26

Qu'est il donc arrivé à Ludmila, cet enfant qui a du être arrachée à sa vie, et fuir loin de tout ce qu'elle a connu ? Comment est-elle devenu cet être légendaire qui fait peur aux plus effrayantes créatures ? Venez le découvrir dans la conclusion de l'étonnnante et tragique histoire de Baba Yaga. 

 

http://dark.pozadia.org/images/wallpapers/95241567/Fantasy/Dark%20Witch%20Making%20Elixir.jpg

 

Baba Yaga- Dernière Partie

 

Ludmila s’approcha de la maison. Pas après pas, elle sentait la pression de son appréhension qui se transformait en terreur. Elle ne savait guère plus que quiconque ou elle se trouvait, ni ce qu’elle allait trouver de l’autre côté du palier de cette étrange bâtisse. Tout paraissait si irréel. Mais une vie entière dans la pauvreté et vous pouviez croire n’importe quoi. Une vie crasseuse et une bonne douche, même dans les bras d’un criminel, paraissait comme un nouveau jardin d’éden à portée de main. Odessa. Son nom : c’était tout ce qu’elle savait de la femme qui habitait ici depuis certainement un bon nombre d’années, à en croire l’aspect quelque peu vétuste des murs qui commençaient à accuser le poids des années. La nature autour était certes confondante de banalité, mais le cercle autour de la clôture semblait bien vide, comme si un sortilège très puissant avait été jeté tout autour pour ne pas que les mauvaises herbes envahissent le semblant de jardin.  L’air ambiant sentait la chaleur, certainement celle d’un chaudron sur le feu. Ou bien était-ce tout autre chose. Soudain, Ludmila se remit à nouveau sur la défensive, comme elle l’avait toujours été dans les 10 longues années qui venaient de s’écouler.


    - Chut, ne fais pas de bruit, veux tu, tu vas réveiller les Snarks ! Ha ha ha ! 

Après avoir émis un rire rauque et impressionnant de noirceur, la vieille femme dont la voix trahissait l’ironie toussa longuement. Son âge devait certainement être plus avancé encore que ne le pensait la jeune fille.

 - Excusez-moi… Les quoi ?

 - C’est une vieille blague, n’y fait pas attention. Il y a bien longtemps que je suis la seule à rire de moi-même ! Personne ne vient plus ici depuis des années. Je n’ai pour seule compagnie que les fées. Ces satanés petites pestes me chapardent tous les précieux objets que je ramasse ici et là.

 - Je… ce n’était pas une bonne idée de venir ici. Je vais m’en aller, fit Ludmila avec appréhension, en faisant bien comprendre à la voix sur laquelle elle n’avait pas encore mis de visage que son ton était quelque peu direct et plutôt antipathique, si ce n’était clairement inhospitalier.

 - Non, attends ! Tu ne vas pas déjà partir. Reste encore un peu.

 


C’est alors qu’une partie de son visage se refléta avec la lumière extérieure. Elle se tenait là, sur le palier de sa maison, l’air étonné. Ses joues étaient creusées par la faim et les hivers rudes. Ses joues et sont front étaient plissés. Des taches de rousseur et de l’éclat de sa jeunesse il ne restait plus que des reliefs, des formes inachevées, comme un tableau impressionniste qui ne révélait sa grandeur que par ses détails mais qui, pris en ensemble, ne formait qu’un incompréhensible amas de vieux symboles perdus. Elle paraissait très étonnée en la voyant, comme si elle n’avait pas vu d’être humain depuis trop longtemps.

 

 

- Tu as les traits de là bas. Toi aussi, on t’a jetée ici parce que tu n’étais pas la bienvenue, c’est bien ça ?

 - Comment savez-vous tout ça, vieille femme ?

 - Mon nom est Odessa. Je suis moins vieille que ce que l’on t’a raconté. Et certainement moins robuste aussi. Mais ça, ce n’est pas à moi d’en juger. Saches que si c’est bien ton cas, alors tu es ici à tout jamais. Tu t’y feras, mais il te faudra plus de force que tu n’en aurais jamais eu dans ton pays. Si tu veux bien rester auprès de moi pour combler ma solitude, je peux t’apprendre à te défendre dans cette jungle. Des nouveaux, il en arrive presque tous les jours. Je sens leur présence, leur hostilité, leur peur aussi. Ils sont comme nous, mais ils réagissent différemment à l’inconnu. Certains n’hésiteraient pas une seconde à te trancher la gorge pour pouvoir se nourrir décemment quelques jours. Tu dois te montrer plus forte qu’eux, plus maligne.

 - Mais vous ne savez rien de moi, vous ne me connaissez pas.

 - Ha ha, fit la vieille. Je n’ai pas besoin de passer 30 ans avec les gens pour les connaître. Même si ça te déplait, je vois clair en toi ; Comment crois tu que j’aurais pu survivre si je n’avais pas certains dons… disons… étranges ?

 - Alors vous êtes…

 - Je suis beaucoup de choses, je porte beaucoup de noms. Je préfère dire que je suis perspicace. La même perspicacité qui en condamne certaines aux bûchers. Les temps sont rudes. Nous devons nous défendre contre l’inconnu avec toutes les forces dont nous disposons. Vois-tu, le monde est en train de changer. Je le vois dans les arbres, je le sens dans le vent, je le ressens dans la terre. Toi aussi, tu devras t’y faire. Mais seule, désarmée, aussi jeune que tu l’es, tu n’y parviendras jamais.

 - Je compte bien sortir d’ici.

- Oh, mais ce n’est pas un choix que tu dois faire ou pas. Si tu veux vraiment quitter cet endroit, alors je peux bien te tuer. Mais si tu ne veux pas mourir par une main inconnue, alors tu devras patienter jusqu'à ce que ce soit celle de la mort qui vienne te prendre. Ne comprends tu pas ? Tu es condamnée, comme moi. Ils nous ont mis ici, à l’abri de leur belle société, car nous sommes hors du commun. Nous étions normales autrefois, mais le temps nous aura changées. Vois donc la vérité en face. Affronte là, au lieu de la fuir. Prends le temps de réfléchir à tout ça. Et lorsque tu te sens prête, reviens me voir et je t’enseignerais des choses.

 


Ludmila, qui ne croyait pas du tout au pouvoir de celle qu’elle considérait désormais clairement comme une vieille sorcière, s’enfuit en courant vers la forêt sombre et secrète. Là, elle lutta pendant des jours contre ses convictions, contre ses peurs. Elle vit dans les ombres des cimes des ennemis qui n’existaient pas, elle crut sa mort venue lorsque le soleil changea de forme, lorsque le ciel prit une autre couleur que celle de la lumière. Elle voulait de toutes ses forces s’en sortir toute seule, mais elle sut lorsqu’elle vit qu’elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, lorsque sa ligne de vie parut s’arrêter soudainement, qu’il était tant d’écouter la voix de la raison qui l’avait tant harcelée mais qu’elle n’avait jusque là pas voulu entendre. Alors elle retourna dans cette clairière sombre, se mit de nouveau sur le pas de la porte, et fit ce qu’elle croyait ne jamais avoir à faire : elle passa le pied à l’intérieur de la masure. La vieille était tranquillement assise dans un fauteuil à bascule, face à la cheminée. Elle lui tournait de dos. Pourtant, elle réussit tout de même à percevoir sa présence, alors même qu’elle avait tout fait pour être silencieuse. Sans doute pour se convaincre elle-même.

 

- Je t’attendais. Alors, tu t’es finalement rendu compte de la réalité de cet endroit ?

 - Apprends-moi à vivre seule, à me débrouiller.

- Bien. Pour vivre ici bas, tu dois avoir un but. Quelqu’un à qui tu tiens, un endroit que tu veux retrouver, un sentiment que tu veux posséder. Sache qu’il n’y a presque aucune limite à ce désir. Et plus il sera grand, plus tu auras de chance de rester en vie. Que veux-tu par-dessus tout ?

- Je veux retrouver mes deux sœurs. Je veux qu’elles reviennent auprès de moi, et qu’on forme à nouveau une famille.

- Bien. Normalement, les morts ne revivent pas. Mais comme je te l’ai déjà dit, ici, rien n’est normal. Le seul problème de ta requête, c’est qu’elle prendra du temps. Beaucoup de temps. C’est ce que je te demande en échange. Es tu prête à en sacrifier ?

- Peu importe le temps qu’il faudra, c’est ce que je veux.

- Parfait. Alors bienvenue dans la Forêt des damnés.

 

Des jours passèrent. Des semaines, des mois et même de nombreuses années sans qu’aucune des deux ne se plaignent d’en avoir pris conscience. Petit à petit, elles réunissaient les conditions inscrites sur la liste pour pouvoir accomplir leur besogne. Mais avant tout, Ludmila apprenait à vivre, à se défendre contre les hostiles habitants de cette contrée perdue au milieu du néant qu’elle appelait nulle part. Au fur et à mesure de l’expérience qu’elle gagnait, elle voyait le temps se creuser sur le visage d’Odessa, et elle sut alors qu’il allait lui manquer, et qu’il fallait vite qu’elle trouve une solution. Mais on ne peut rien faire contre une certaine forme de destin, et un jour qu’elle préparait leur prochain objectif, Odessa défaillit, se couchant et fermant les yeux pour la dernière fois. Elles avaient appris à être complices, à se joindre dans leur effort. Même des décennies après avoir été envoyée ici, la vieille ne s’était en rien adaptée au monde, c’était plutôt cette forêt qui avait peu à peu appris à la connaître et à ne pas trop déranger son train de vie. Certainement au prix d’un lourd sacrifice : elle avait été arrachée à sa mère, qui vivait dans une pauvreté et un scandale grandissant. Elle avait grandi en Angleterre. Et un jour, un individu inconnu dont on a jamais su retrouver la trace lui avait enlevé le sein maternel.

 

Cet individu était le plus célèbre tueur en série de l’histoire de l’humanité. Il n’avait pas de nom, mais la bourgeoisie, éclaboussée et fascinée par l’horreur de tant de scandales, avait fini par le surnommer Jack l’éventreur. Depuis tout ce temps, Odessa avait toujours voulu le retrouver et le tuer de ses propres mains. Elle n’avait jamais abandonné, peu importe les obstacles qui se trouvaient sur sa route, car la fatalité lui avait appris à se montrer forte en toutes circonstances.  Finalement, le but de toute une vie s’était éteint dans un souffle, et ses bras demeuraient désespérément inamovibles, reflétant plus que jamais le vide de ses yeux. Ludmila n’eut pas de peine, elle savait que cette heure devait arriver tôt ou tard, mais elle ne s’y était pas préparée pour autant : comment savoir ce qu’il fallait faire pour retrouver ses deux sœurs maintenant que celle qui lui avait tout appris avait disparue dans les méandres de l’âme, emportant avec elle les derniers secrets d’une providentielle résurrection ? Cet état de fait demeurerait à tout jamais, et elle avait vécu plus de chose qu’elle ne l’aurait jamais cru. Elle aussi, inconsciemment, pendant tout ce temps, elle était devenue… perspicace. Plus que quiconque après elle, moins que celle qui le fut bien avant. Et malgré tout, elle trouvait ça d’une confondante étrangeté.

 

 - Voilà la vraie version, la seule version que tout le monde devrait entendre.

 - Mais… vous êtes vraiment une sorcière ? Comment n’êtes vous pas arrivé à faire revenir vos sœurs, dans ce cas là ?

- Je n’ai jamais trouvé quelqu’un d’assez jeune pour cela. Jouer avec la mort n’est pas chose aisée, car elle a tendance à vous prendre plus ce que qu’elle veut bien vous concéder. Jouer avec la vie est bien plus facile, même si elle n’est pas légion à s’aventurer par ici. Mais je suis sûre que si tu te trouves ici en ce moment, c’est précisément parce que tu ne manques à personne.

En un sourire cruel, la vieille détourna le regard vers la porte d’entrée de la maison, qui se referma d’un seul coup, sur les ténèbres de la cupidité, celle d’une femme désespérée, qui ne faisait rien d’autre qu’attendre, et survivre. 

 

http://sarcasticgamer.com/wp/wp-content/uploads/2009/10/jack-the-ripper.jpg

 

 

RB

Le 20/05/2012

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