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2 mai 2011 1 02 /05 /mai /2011 18:40

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Je t’aime, disait-il à sa ville, dans sa rue, près de son balcon, respirant son air froid et vicié de ses poumons malades. Je t’aime, plus que tout au monde, car avec toi je ne me sens plus seul. Assis sur le sol en métal, la tête appuyée contre le mur en ciment, il écoutait la pluie d’un air hagard, tomber au dehors. Il s’étonnait encore de la sarabande des néons de lumière qui éclairaient les rues sans but, sans réelle conscience de la réalité. Ces lumières traçaient pour lui comme un chemin, peut être vers le néant, peut être vers la reconnaissance éternelle. Elles formaient un tourbillon, des lumières vives et blanches au-delà desquelles il n’existait aucun tunnel, aucune échappatoire. Il sentait l’odeur de la terre et des ordures mouillées qui montait peu à peu des étages en dessous. Ses vêtements et sa tête étaient de plus en plus humides, terrassés par les gouttes qui perlaient des minuscules fentes des autres balcons. La lumière était partout sans être nulle part. Celle des phares des milliers de voitures qui passaient chaque jour avaient quelques chose d’éphémère. Deux néons qui ne se croiseront jamais, deux entités qui éclairent physiquement un chemin plus psychologique que matériel. Jamais rien, aucun GPS ou aucune autre technologie ne nous indiquera la route à suivre. Sa propre route, on se la construit soi même, on ne nous la dicte pas. Nous ne sommes et ne seront jamais guidés par aucun messie. Mais cela provoque une étrange sensation de bien être que de s’imaginer que l’on peut immédiatement nous serrer dans les bras lors de nos moments de crainte et d’amertume. La vie n’est rien d’autre qu’une succession d’opportunité, des phares de voiture qui vont et viennent sans jamais se croiser. Car nous ne revenons jamais en arrière. Parfois on croise d’autres voitures et d’autres phares bien sûr, qui éclairent notre existence sous un jour différent et nous laissent imaginer que nous ne serons plus jamais seul. Mais tout cela ne dure que le bref instant ou ces phares se croisent. Ils respectent entre eux des codes de conduite, de bienséance, mais au bout d’un moment ils reviennent à leur vraie nature, et autrui se prends en plein phare les plus grands secrets de notre existence, et puis il nous quitte. Il s’est toujours posé la question, s’est toujours demandé pourquoi rien ne dure jamais. Pourquoi cette éternelle envie de détruire ce qu’on a un jour voulu construire, alors qu’on sait pertinemment que quelqu’un d’autre va le reconstruire derrière nous ?

Les voitures finissent toutes en épaves, à la casse. Mais arrivent de nouveaux modèles, flambants neufs, vers qui on concentre toute notre attention et le reste de nos espoirs. Le processus est ici assez similaire. Cela reviendrait à comparer la vie à une immense route, ou les chemins s’entremêlent. Cette métaphore, une fois étoffée comme il venait de le faire, lui plaisait plutôt bien.  Mais comme rien ne durait éternellement, il finirait par s’en lasser, comme tout ce à quoi il tenait pour le moment. Il fouilla dans sa poche et en sortit une photo. Une vieille photo, d’un format assez minuscule, qui représentait peut être autant de chose que cette ville, que cette route. Il avait mis les essuie-glace pour tenter de cacher la pluie purifiée qui coulait de ses yeux en se transformant, en passant de l’état de sécrétion lacrymale à celui de larme, en passant de l’état de larve à celui de cocon. Un cocon qui n’allait jamais éclore, au-delà duquel on ne verrait jamais sortir le plus infime des papillons. Il essuya la goutte qui venait de se déposer sur la photographie, puis elle reprit sa place dans sa poche. Les gens et les amours ne durent pas, les photos sont là pour nous rappeler nos différentes étapes, nos états d’âme changeants sinon nos plus grands échecs. Elles sont ce qui forment notre immortalité. Du moins tant que notre famille est encore vivante, avant que notre descendance ne s’éteigne à tout jamais et que ces photos soient perdues dans l’oubli. Les images, comme les âmes, comme les cœurs, se déchirent au contact de souvenirs bien trop souvent ressassés et harassants tellement ils en sont devenus psychiquement réels. Qui ne s’est jamais projeté dans le passé au cours de la plus banale des discussions, en riant faussement de cette « belle époque », alors que chacun de nous désespère et désespèrera toujours du fait qu’elle est bel et bien révolue. Les souvenirs ne sont pas là pour nous faire du bien. Ils sont là pour justifier notre mal-être, notre insatisfaction permanente et notre envie de recommencer tout ce que l’on à déjà entrepris, pour tenter de retrouver les sensations que l’on a pu avoir à ce moment précis, qui sont précisément bien souvent faussées par le faux rappel qu’on à d’elles. Il se souvenait de l’odeur du miel et de la citronnade qui emplissait la maison de ses parents lorsqu’il n’était encore qu’un enfant. Mais ces odeurs là étaient absentes. La vérité, c’est qu’on pouvait sentir l’alcool, l’odeur des ordures, de la saleté et de la crasse qui emplissait l’air chaque jour que dieu faisait. Sauf que ces odeurs là ne forment pas un souvenir dont on a envie de se rappeler. On se sent coupable lorsqu’on a été victime d’un viol. Pourquoi ? Simplement parce qu’en se croyant garant et responsable de son corps, de ses propres sensations, on a tout de même éprouvé un plaisir interdit et plus coupable que si on se l’était fait à soi même.

Mais tout cela était bien trop de rappels d’un passé déjà aussi terni si ce n’est plus, que cette vieille photo usée. Et le moment viendrait ou il se devrait d’éprouver tous ces sentiments qu’il avait déjà éprouvé, de se remémorer ses plus grandes réussites et ses plus effroyables secrets qui formaient, quelque part loin dans son esprit et son âme biaisée, des erreurs. Il se releva péniblement, son dos le faisant revenir à la réalité. Une réalité qui n’en était pas vraiment une. Les phares étaient tout de même là pour lui fixer des points d’attache, lui donner une orientation du relief qui se dessinait devant lui. C’était comme si, dans ce grand immeuble à moitié délabré, il reprenait inconsciemment de la hauteur sur les choses. Il fixa du regard une dernière fois la multitude de lumières qui passaient sous le bruit des moteurs en perpétuelle mouvance, en éternelle accélération avant de ralentir aussi soudainement. Il émit un sourire à l’adresse de sa femme bien aimée, celle qui avait enfanté ses espoirs et ses rêves, celle qui avaient  contenu ses folies passagères. Il se trompait pourtant. Seule sa lucidité était passagère. Mais trop d’images et de métaphores pour aujourd’hui. Il rentra par sa baie vitrée dans son minuscule appartement. Le froid commençait à me saisir. C’était pour lui une sensation des plus agréables. Un hiver rigoureux se préparait sans doute. Novembre battait son plein et le froid était déjà engourdissant, assez inquiétant même. Il gardait la main droite dans sa poche de jean, bien prêt de la photo, qu’il triturait en permanence dans ses mains. Le plus éprouvant dans tout  cela, c’est que ce n’était même pas le souvenir de cette photo qui lui avait fait verser cette larme. Il aurait bien voulu que ce soit ça, que les personnes qu’il avait rencontré ce jour là refassent soudain surface, le prennent par la main et l’invite de nouveau à partager la sarabande de la jeunesse et les mets délicieux de l’insouciance grandissante et bienfaitrice. Mais il avait pleuré parce qu’il ne connaissait pas les personnes sur ces photos. Il avait pleuré parce que ne restait en lui de sa vie que des bribes, des odeurs faussées, des moments, comme des photos dans un album dont les couleurs commençaient à s’effacer. Bientôt, elles auraient totalement disparues. Bientôt ne resterait plus que lui, ce balcon, les néons et les phares des voitures qui lui rappelleraient qu’il avait un jour eu une vie. Sa ville, elle lui appartenait parce qu’il n’arrivait plus à discerner les choses auxquelles il tenait et celle auxquelles il ne tenait pas. Car après tout, rien ne dure jamais. Le téléphone sonna. 3 coups. Il ne sut pourquoi mais ces 3 coups signifiaient le franchissement d’une limite. Au-delà de 2 coups, la personne à l’autre bout était souvent quelqu’un de proche ou quelqu’un qui avait quelque chose d’important à vous dire. C’était bien souvent le cas, mais il ne se rappelait plus combien de fois sur 100. Il se dirigea vers la table basse ou le combiné était décroché, le prit de ses mains usées et le porta à son oreille.

Allo ?

Allo, questionna t’il d’une voix hagarde. Qui est à l’appareil ?

C’est Willy, papa.

Qui êtes vous ? Pourquoi me téléphonez-vous à une heure pareille ?

Tu ne te souviens vraiment pas ?

C’est une foutue blague, ou quoi ?

Non. C’est tout sauf une blague, malheureusement. C’est Willy, à l’autre bout, papa. C’est ton fils.

Je n’ai pas de fils. Je n’ai personne à part ma bonne vieille ville, qui ne m’a jamais abandonné, elle.

Papa, qu’est ce que tu dis ? Je ne t’ai pas…

Il raccrocha violemment le téléphone. Une autre larme venait de couler sur sa joue. Il se sentait comme violé. Mais pas physiquement. Violé dans ses pensées, dans ce qui lui restait d’intimité. C’était un viol constant, froid, inconscient de la part de ceux qui le lui faisaient subir. Et il était d’autant plus violent qu’il était simplement moral.  Le plus souvent, cela le frustrait. Des fois, ça lui faisait même perdre l’appétit. Et puis il y avait ce balcon, si on pouvait appeler cela comme tel. Il y avait ces pensées, ce monde qui s’ouvrait à  lui, ou il n’avait besoin de se souvenir ni de parler à personne d’autre qu’a lui-même. Ou sa vie se construisait au jour le jour sans qu’il ait jamais le moindre rappel de la veille. Cela lui convenait parfaitement, il aimait ce semblant de vie. Il adorait sa ville. C’était comme si elle était sa légitime épouse. Il avait arpenté ses rues bien avant que tout ne change, bien avant que la maladie ne vienne troubler son quotidien. Il avait parcouru ses allées, commerçantes ou non, de nombreuses fois. Par loisir autant que par nécessité, pour le travail. Du moins le soupçonnait-il, car il avait l’impression de la connaître si bien qu’il aurait presque pu la parcourir sans aucune carte sans se perdre. C’était dans les méandres de ses ressassements qu’il avait cependant plus que jamais peur de s’égarer. Cette éventualité l’effrayait, le hanter jusqu'à le tordre de douleur et de frustration. Ce balcon, cette soirée comme tant d’autre, c’était son temple des secrets, le lieu et le temps ou personne d’autre n’entrerait plus. Cet homme au téléphone qui avait prétendu être son fils. Il avait vaguement reconnu sa voix, comme s’il l’avait déjà entendu quelque part, mais sans pour autant en distinguer la provenance. Mais plus encore que tout autre chose, c’était l’éventualité de la mort qui l’effrayait, même s’il n’aurait pas su la définir. Etait ce la fin ? La fin de quoi ? De son existence. Mais il commençait déjà à perdre toute attache. C’était son esprit qui était en train de mourir. Et il savait qu’inéluctablement, ce serait bientôt le tour de son corps tout entier. Ce soir là, il écouta encore longuement tomber la pluie à travers la fenêtre d’une étroite chambre attenante presque sans mobilier, et il s’endormit en s’imaginant comme toujours une véritable existence, au travers de ses songes cette fois, qui étaient comme le plus fou des rêves et la plus passionnée des envies. Une fusion des corps était en train de se produire. Il ne faisait désormais plus qu’un avec un halo de lumière. Et ses rêves furent aussi agités qu’ils pouvaient l’être après avoir bu un peu plus de vin que d’ordinaire.

Le lendemain matin, William se leva à la hâte. Il embrassa sa femme à laquelle il tenait plus que toute autre chose au monde, et prit sa voiture pour se rendre chez son père. Il était triste car il savait que ce serait le même rituel que d’habitude. Son père refuserait de lui ouvrir, un voisin se dévouerait pour appuyer sur le bouton à sa place, et son père ferait une esclandre. Ou alors il ne réagirait pas du tout, il laisserait entrer son fils comme il aurait laissé entré n’importe qui, faible et vulnérable. Ou alors il l’accueillerait avec joie et à bras ouverts chez lui, parfaitement conscient qu’il s’agissait de sa progéniture. Il  était le paradoxe de son paternel. Lui aimait sa vie, considérait que les souvenirs étaient les plus magnifiques choses qu’un homme pouvait restituer de son passé, une chance de plus de vivre pleinement le présent pour pouvoir se dire que cela allait forger notre passé par la suite. Il détestait cette ville. Ces va et vient incessants et permanents de tous ces gens trop pressés pour prendre le temps d’exister et de voir ce qui se trouvait sous leur nez. Il détestait ses lumières trop blafardes qui le perdaient et le rendaient somnolent quand il prenait la route de nuit pour rentrer chez lui. Mais il aimait son père. Et ca vallait bien le fait qu’il emprunte toujours cette même route, se perdant dans la foule de voitures et de feux de signalisation comme on essayerait de nager dans une pataugeoire.  Rien ne dure jamais. Il avait, depuis bientôt 10 ans allumé ses feux de brouillard, et il se perdait dans un océan d'ignorantes connaissances. Le seul véritable ami de son père s'appellait désormais alzheimer, et il savait pertinemment qu'ils n'allaient plus jamais se quitter. 

 

R.B le 02/05/2011

 

 

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